2015/11/30

Le Dessein

Source: Monographie "Le style de vie". Maxi Elegido, Août 2011. 
melegido@gmail.com
Parcs d'Étude et de Réflexion - Punta de Vacas.

Qu'est-ce que je veux faire de ma vie ? Qui suis-je ? Vers où vais-je ? 1
Ces questions, je me les pose dans les moments importants de ma vie, avant d’affronter certaines situations à conséquences. Dans ces moments de choix, il est fréquent que le calcul de bénéfices apparents s'oppose à la direction de ma vie. Ce sont des choix qui affectent la construction de ma vie et qui vont au-delà des échafaudages provisoires.
C’est dans ces instants-là que le Dessein s'exprime le mieux. Si je choisis le simple pragmatisme pour prendre ma décision, j’expérimente une trahison interne, mon cœur se contracte et s'anesthésie. Si j'opte pour donner sens à mon action, je m'émeus et la lucidité augmente.
Mais le Dessein ne s'exprime pas seulement dans les moments de possible déviation, il opère de façon coprésente en guidant mon action. Cela ressemble à ces moments où, en me rappelant un objectif fixé, je me demande si parmi les actions réalisées en ce sens, l'une d’elles n’avait pas mis en danger sa réalisation. Le Dessein est une direction et un objectif.2
Comment ne pas essayer de préciser cette signification si importante pour pouvoir faire appel à elle en dehors des situations extrêmes ?
Comment faire pour graver les registres que je veux préserver pour pouvoir faire appel à eux quand j'en ai besoin ? Le travail avec les aphorismes m'a beaucoup aidé.3
De la même façon que l’on cherche un aphorisme sur la base d'expériences significatives, j’ai trouvé la façon de formuler le Dessein en regardant comment il s'était exprimé dans les moments essentiels de ma vie.
Alors, j'ai cherché dans mes expériences vitales les plus opposées. J’ai d’abord examiné celles qui m’ont laissé un registre de trahison enversmoi-même car je me suis éloigné de la direction que je voulais profondément suivre. Ensuite, j’ai révisé les expériences qui m'ont impulsé vers le développement, la croissance, le réveil, donc celles qui ont été valables et qui ont résisté au passage du temps.
Le moment difficile à retrouver est le premier où j'ai laissé de côté le Dessein, moment biographique de sortie du monde. C'est le moment où j'ai "arrêté de croire", où je me suis trahi, où j’ai été fasciné par quelque chose que j'ai voulu obtenir, en reléguant au second plan ou même au troisième plan cette chose importante en laquelle je croyais.
Ce en quoi l’on arrête de croire est un condensé de différentes choses qui gravitent autour d'un même registre profond : une religiosité ou une conscience morale, ou la croyance en un type d'Être Humain, ou de société, etc. Il ne s’agit pas simplement de la substitution d'un rêve par un autre, mais de la perte du contact avec le Sacré.4
Ce moment me permet de me rendre compte que je dévie de ce qui est important et, par conséquent, de me rendre compte aussi de ce qui est vraiment important.

Au pôle opposé se trouvent les moments où prime la direction essentielle de ma vie. À quel moment est-ce que je me suis mis d'accord avec d'autres ? À quel moment est-ce que j’ai pris un engagement et persévéré dans mon action ? Qu'est-ce qui a pesé pour commencer à travailler une Discipline ? Et plus récemment, qu'est-ce qui a pesé pour mon entrée dans l'École ? En quelles occasions ont surgi des peurs que j'ai laissées de côté, des pertes apparentes qui ensuite se sont révélées être des bénéfices plus importants, bien que moins tangibles ?
Ce sont des moments de nécessité, d'engagement, ayant des conséquences et, dans ces moments-là, j'ai registré clairement le Dessein.
Avec cela je veux simplement exprimer que la définition et la précision du Dessein ne furent pas une construction de quelque chose d'inexistant, mais plutôt une révélation et une formulation simple me permettant de faire appel à un registre que j'ai déjà expérimenté en différentes occasions.
Cette formulation diffère d’autres formulations habituelles car elle n’est pas seulement rationnelle, l'émotion y prime et elle inclut la tête.
C'est une sorte de prière qui m'émeut, qui met en contact avec la direction essentielle de ma vie, avec le Sens de ma Vie. Et je l'expérimente essentiellement au fond de mon cœur. Il ne s’agit pas d’un battement de cœur accéléré, c'est une distension profonde, radieuse, lumineuse, qui grandit et relie mon être.
Curieusement, ce Dessein ne heurte pas et ne s'oppose pas aux autres, tout au contraire, il les inclut. Par son essence, il me connecte et m'ouvre aux autres.
C’est seulement grâce au Dessein que je peux ressentir autrui, que je peux me mettre vraiment à sa place, et ce, non pas comme une gymnastique mentale salutaire qui entraîne mes habilités mentales et qui, dans la majorité des cas, est loin du ressentir de l'autre.
Une fois le Dessein fixé et que je peux faire appel à lui, il ne demeure pas statique, arrêté, il commence plutôt à processer et à opérer, comme nous le verrons par la suite, dans le chapitre sur l'Ascèse et dans celui sur le Style de Vie.
Le Dessein se modifie aussi dans son expression, il tend à souligner des aspects que, par tendance, on aurait négligés. Ainsi une personne studieuse avec peu d'activités sociales tend à compléter son aspiration par un sentiment davantage orienté vers le monde et, à l’inverse, un militant aspire à une plus grande cohérence.
Le Dessein tend à se fixer dans sa formulation alors que sa signification peut être projetée dans le monde social ou introjectée vers le Profond.
Dans tous les cas, je prends comme indicateur que le Dessein est fixé quand je sens une nouvelle étape commencer, quand il me conduit vers un espace sans solution de continuité.

1.       1. Silo, Le Chemin, Le Message de Silo, Éditions Références, Paris, 2010, p.148
2.       2 Pia Figueroa, Étude sur Phidias, pp.29-30, www.parclabelleidee.fr "Dans l'exemple d'une statue comme celle de la déesse Athéna Parthénos sculptée par Phidias et commandée par Périclès, et à qui les Athéniens rendaient un culte, la cause matérielle est le marbre et l'or desquels elle est faite ; la cause formelle est la forme de la statue qui préexistait dans l'esprit du sculpteur Phidias quand il projeta cette œuvre ; la cause efficiente est ce même sculpteur qui agit comme agent; et la cause finale, le culte que la cité rend à la déesse protectrice, culte auquel était destinée la statue (et qui détermine à la fois ses dimensions considérables et le port hiératique et solennel de la figure d'Athéna réalisée dans les meilleurs matériaux). … Et la cause finale est celle en raison de laquelle se fait quelque chose et se mettent en action toutes les autres causes. C'est le bien de la chose. C'est pourquoi Aristote dit que la cause finale est la cause des causes."
3.       3 Le Dessein change de formulation dans sa forme et ainsi il tend à se préciser dans son contenu, mais la signification, elle, ne varie pas. Par exemple, un enfant pourrait faire une oraison comme celle-ci : "Jésus de ma vie, tu es un enfant comme moi, c’est pour cela que je t’aime tant et que je t’offre mon cœur" ; et par la suite, en tant qu'adulte, il peut la formuler autrement, comme Jean de la Croix qui parle de l'épouse (son âme) qui se prépare à s'offrir à son époux (Dieu).

4.       4 Karen Rohn, Root antecedents of the Energetical Discipline and Ascesis in the Occident, Asia Minor, Crete and Aegean Islands (Antécédents des racines de la Discipline de l’Énergie et l’Ascèse en Occident : Asie mineure, Crète et les Iles Grecques), p.54 www.parquemanantiales.org "Dans la cérémonie de hiérogamie, il y avait un Dessein transpersonnel ayant pour base la croyance et le désir que l’énergie de cet acte soit projetée et démultipliée en faveur du bien-être de tous les êtres vivants, afin d’assurer la continuité de l’Univers. La croyance profonde était, en effet, que cette énergie représentait la source, le mystère et le potentiel de la dynamique de l’univers, la génération de la vie et la réponse permettant d’assurer la croissance et la continuité."

2015/11/14

Silo: le cadeau

Inauguration de la Salle d’Amérique du Sud. La Reja, Buenos Aires, Argentina, Mai 7, 2005 (extrait)

Comme nous sommes aujourd’hui dans une célébration - et que dans certaines célébrations les gens échangent des présents - je voudrais te faire un cadeau et, bien sûr, c’est toi qui verras s’il mérite d´être accepté. Il s’agit, en réalité, de la recommandation la plus facile et la plus pratique que je sois capable d’offrir. C’est presque une recette de cuisine, mais j’ai confiance dans le fait que tu iras au-delà de ce qu’indiquent les mots...

A un moment donné du jour ou de la nuit, inspire une bouffée d’air et imagine que tu amènes cet air à ton cœur. Alors, demande avec force pour toi et pour tes êtres les plus chers. Demande avec force, pour t’éloigner de tout ce qui t’apporte confusion et contradiction ; demande, afin que ta vie soit en unité. Ne dédie pas beaucoup de temps à cette brève oraison, à cette brève demande, parce qu’il te suffira d’interrompre un seul instant le cours de ta vie pour que, dans le contact avec ton intérieur, s’éclaircissent tes sentiments et tes idées.

Eloigner la contradiction de soi-même, c’est dépasser la haine, le ressentiment, le désir de vengeance. Eloigner la contradiction, c’est cultiver le désir de réconciliation avec d’autres et avec soi-même. Eloigner la contradiction, c’est pardonner et réparer deux fois tout mal que tu aurais pu infliger à d’autres. Ça, c’est l’attitude qu’il convient de cultiver. Alors, à mesure que le temps passe, tu comprendras que le plus important est d’atteindre une vie d’unité intérieure qui fructifiera quand ce que tu penses, ce que tu sens et ce que tu fais, ira dans la même direction. La vie croît par son unité intérieure et se désintègre par la contradiction. Et il se trouve que ce que tu fais ne reste pas seulement en toi mais parvient aussi aux autres. C’est pourquoi, quand tu aides les autres à dépasser la douleur et la souffrance, tu fais grandir ta vie et tu apportes au monde. Inversement, quand tu augmentes la souffrance des autres, tu désintègres ta vie et tu envenimes le monde. Et qui dois-tu aider ? D’abord, ceux qui sont les plus proches. Mais ton action ne s’arrêtera pas à eux.

Avec cette « recette », l’apprentissage ne s’achève pas mais c’est plutôt là qu’il commence. Dans cette « recette-là », il est dit qu’il faut demander. Mais à qui demande-t-on ? Selon ce que tu crois, ce sera soit à ton dieu intérieur, soit à ton guide, soit à une image inspiratrice et réconfortante. Enfin, si tu n’as personne à qui demander, tu n’auras personne non plus à qui donner et donc mon cadeau ne méritera pas d’être accepté.

Plus tard, tu pourras prendre en considération ce qu’explique le Message dans son Livre, dans son Chemin et dans son Expérience. Et tu compteras aussi sur de véritables compagnons qui pourront entamer avec toi une vie nouvelle.

Dans cette simple demande, il y a aussi une méditation orientée vers sa propre vie. Et avec le temps, cette demande et cette méditation prendront de la force au point de transformer les situations quotidiennes.

En avançant ainsi, un jour peut-être, tu capteras un signal. Un signal qui se présente quelquefois avec des erreurs et quelquefois avec des certitudes. Un signal qui s’insinue avec beaucoup de douceur, mais qui, en de rares moments de la vie, fait irruption comme un feu sacré, donnant lieu au ravissement des amoureux, à l’inspiration des artistes et à l’extase des mystiques. Parce qu’il convient de le dire, autant les religions que les oeuvres d’art et les grandes inspirations de la vie sortent de là, des diverses traductions de ce signal, et ce n’est pas pour autant qu’il faut croire que ces traductions représentent fidèlement le monde qu’elles traduisent. Ce signal dans ta conscience est la traduction en images de ce qui n’a pas d’image, c’est le contact avec le Profond du mental humain, une profondeur insondable où l’espace est infini et le temps éternel.

Dans certains moments de l’histoire s’élève une clameur, une demande déchirante des individus et des peuples. Alors, depuis le Profond parvient un signal. Souhaitons que ce signal soit traduit avec bonté par les temps qui courent ! Qu’il soit traduit en vue de dépasser la douleur et la souffrance ! Car derrière ce signal soufflent les vents du grand changement.