2016/08/15

Silo: "Le paysage humain"


I. Les paysages et les regards

  1. Reprenons ce que nous avons déjà dit à propos des paysages et des regards : « Paysage extérieur, c'est ce que nous percevons des choses ; paysage intérieur, c'est ce que nous en filtrons avec le tamis de notre monde intérieur. Ces paysages ne font qu'un et constituent notre indissoluble vision de la réalité ».
  2. Un regard naïf percevant les objets extérieurs peut déjà amener à confondre “ce qui se voit” avec la réalité elle‑même. Un autre ira plus loin en croyant qu'il se souvient de la “réalité” telle qu'elle fut. Et un troisième confondra son illusion, son hallucination ou les images de ses rêves avec des objets matériels (alors qu'en réalité ces derniers ont été perçus et transformés suivant divers états de conscience).
  3. Lorsque les objets perçus auparavant apparaissent déformés dans les souvenirs et dans les rêves, cela ne semble pas poser de problèmes aux gens raisonnables. Mais que les objets perçus soient toujours couverts du manteau multicolore d'autres perceptions simultanées et de souvenirs qui agissent au même moment ; que percevoir soit une façon globale d'être parmi les choses, un ton émotif et un état général de son propre corps… cela, en tant qu'idée, désorganise la simplicité de la pratique quotidienne et la façon de faire avec et parmi les choses.
  4. Il arrive que le regard naïf saisisse le monde “extérieur” avec sa propre douleur ou sa propre joie. Je ne regarde pas seulement avec l'œil, mais aussi avec le cœur, avec le doux souvenir, avec l'abominable soupçon, avec le froid calcul, avec la secrète comparaison. Je regarde à travers des allégories, des signes et des symboles que je ne vois pas dans le regarder, mais qui agissent sur celui‑ci, de la même façon que je ne vois pas l'œil, ni l'action de l'œil quand je regarde.
  5. Ainsi, en raison de la complexité du percevoir, quand je parle de réalité extérieure ou intérieure, je préfère le faire en utilisant le mot “paysage” au lieu du mot “objet”. On comprendra que je désigne des blocs, des structures et non l'individualité isolée et abstraite d'un objet. De plus, il est important de souligner qu'à ces paysages correspondent des actes du percevoir que je nomme “regards” (envahissant ainsi, peut‑être illégitimement, de nombreux domaines qui ne se rapportent pas à la visualisation). Ces “regards” sont des actes complexes et actifs, organisateurs de “paysages”, et non de simples actes passifs de réception d'informations extérieures (données qui parviennent à mes sens externes) ou intérieures (sensations de mon propre corps, souvenirs et aperceptions). Inutile de dire que dans ces implications mutuelles de “regards” et de “paysages”, les distinctions entre l'intérieur et l'extérieur s'établissent selon des directions de l'intentionnalité de la conscience et non comme le voudrait le schématisme naïf que l'on présente aux écoliers.
  6. Si l'on a compris ce qui précède, quand je parlerai de “paysage humain”, on comprendra que je fais référence à un type de paysage extérieur constitué de personnes, et aussi de faits et d'intentions humaines concrétisés en objets, même si parfois l'être humain en tant que tel n'est pas présent.
  7. De plus, il convient de faire la distinction entre monde intérieur et “paysage intérieur”, entre nature et “paysage extérieur”, entre société et “paysage humain”, en soulignant que mentionner “paysage” inclut toujours celui qui regarde ; au contraire, dans les autres cas, monde intérieur (ou psychologique), nature et société apparaissent naïvement comme ayant une existence propre, comme exempts de toute interprétation.

II. L'humain et le regard extérieur

  1. Cette affirmation selon laquelle “l'homme se constitue dans un milieu” et que grâce à un tel milieu (naturel pour les uns, social pour les autres et les deux pour d'autres encore) l'être humain se “constitue” (?) ne nous dit rien de substantiel. Une telle inconsistance s'aggrave si on met en valeur la relation qu'induit le terme “constitue”, qui suppose admise la compréhension des termes “homme” (ce qui est à l'intérieur ou bien submergé par le “milieu”) et “milieu” (ce qui entoure ou submerge l'être humain). Nous continuons donc, comme au début, à tourner dans la vacuité. En outre, nous remarquons que la mise en relation des deux expressions fait référence à des entités séparées et qu'il existe une intention d'unir cette séparation par une relation truquée avec le mot “constitue” qui a des implications de genèse, c'est‑à‑dire d'explication depuis le plus originel (depuis son origine).
  2. Ce qui précède serait sans intérêt si cela ne nous était pas présenté comme un paradigme de différentes assertions qui, durant des millénaires, ont présenté une image de l'être humain vu à partir des choses et non du regard qui regarde les choses. Car dire “l'homme est l'animal social” ou dire “l'homme est fait à l'image de Dieu” place la société ou Dieu comme ceux qui regardent l'homme, alors que la société et Dieu se conçoivent, se nient ou s'acceptent uniquement à partir du regard humain.
  3. Et ainsi, dans un monde où depuis les temps les plus anciens s'est installé un regard inhumain, se sont installés également des comportements et des institutions qui anéantirent l'humain. De même, dans l'observation de la nature, on s'est interrogé, entre autres, sur la nature de l'homme et l'on a répondu comme l'on répond à propos d'un objet naturel.
  4. Même les courants de pensée qui présentaient l'être humain comme susceptible de se transformer travaillèrent en pensant l'humain à partir du regard extérieur, à partir de difoférents emplacements du naturalisme historique.
  5. C'est cette idée sous‑jacente de “nature humaine” qui a correspondu au regard extérieur sur l'humain. Mais sachant que l'homme est l'être historique dont le mode d'action sociale transforme sa propre nature, le concept de “nature humaine” apparaît subordonné à l'activité, à l'existence, et soumis aux transformations et aux découvertes que cette existence oriente. C'est ainsi que le corps, comme prothèse de l'intention, s'étend dans ses potentialités en humanisant le monde. Ainsi ce monde ne peut plus être vu comme simple extériorité mais comme “paysage” naturel ou humain, soumis à des transformations humaines, actuelles ou possibles. C'est dans ce faire que l'homme se transforme lui‑même.

III. Le corps humain comme objet de l'intention

  1. Le corps comme objet naturel est sujet à des modifications naturelles et bien sûr, susceptible de transformations non seulement dans ses expressions les plus extérieures, mais aussi dans son fonctionnement intime, du fait de l'intention humaine. Vu de cette façon, le corps lui‑même comme prothèse de l'intention prend la plus grande importance. Mais depuis la conduite immédiate (sans intermédiaire) de son propre corps jusqu'à l'adéquation de celui‑ci à d'autres nécessités et d'autres desseins, intervient un processus social qui ne dépend pas de l'individu isolé mais en implique d'autres.
  2. L'appropriation de ma structure psychophysique s'obtient grâce à l'intentionnalité, alors que les objets extérieurs m'apparaissent comme étrangers à ma propriété immédiate et seulement gouvernables indirectement (par l'action de mon corps). Mais le corps de l'autre est un type particulier d'objet que je pressens comme appartenant à une intention étrangère. Et cette étrangeté me place “vu du dehors”, vu depuis l'intention de l'autre. Par conséquent, ma vision de ce qui est étranger est une interprétation, un “paysage” qui s'étend à tout objet portant la marque de l'intention humaine, qu'il ait été produit ou manipulé par quelqu'un dans le présent ou dans le passé. Dans ce “paysage humain”, je peux anéantir l'intention des autres en les considérant comme des prothèses de mon propre corps ; dans ce cas, je dois “vider” totalement leur subjectivité, ou au moins ces régions du penser, du sentir ou de l'agir que je veux conduire de façon immédiate. Une telle objétisation me déshumanise nécessairement, et ainsi, je justifie la situation par l'action d'une Force majeure non contrôlée par moi (la “Passion”, “Dieu”, la “Cause”, “l'Inégalité naturelle”, le “Destin”, la “Société”, etc.).

IV. Mémoire et paysage humain

  1. Face à un paysage inconnu, je fais appel à ma mémoire et je remarque ce qui est nouveau par “reconnaissance” de son absence en moi. Cela m'arrive aussi avec un paysage humain dans lequel langage, vêtements et coutumes sociales contrastent fortement avec le paysage dans lequel se sont constitués mes souvenirs. Mais dans les sociétés où le changement est lent, mon paysage précédent tend à s'imposer à ces nouveautés que je perçois comme “insignifiantes”.
  2. Vivant dans des sociétés à modifications rapides, il arrive que je tende à méconnaître la valeur du changement ou à le considérer comme une “déviation” sans comprendre que la perte intérieure que j'éprouve est la perte du paysage social dans lequel s'est configurée ma mémoire.
  3. De ce fait, je comprends qu'une génération, quand elle accède au pouvoir, tend à projeter à l'extérieur les mythes et les théories, les convoitises et les valeurs de ces paysages aujourd'hui inexistants, mais qui vivent et agissent encore depuis le souvenir social dans lequel s'est formé cet ensemble. Et ce paysage est assimilé comme paysage humain par les enfants, et comme “insignifiance” ou “déviation” par leurs parents. Et les générations ont beau lutter entre elles, celle qui parvient au pouvoir se transforme aussitôt en retardataire en imposant son paysage de formation à un paysage humain déjà modifié ou qu'elle‑même a contribué à modifier. De cette façon, dans la transformation instaurée par un nouvel ensemble, demeure le retard qu'il traîne depuis son époque de formation ; et à ce retard, se heurte un nouvel ensemble en train de se former.
Quand j'ai parlé du “pouvoir” auquel accède une génération – j'imagine que cela a été bien compris –, je me suis référé à ses diverses expressions : politiques, sociales, culturelles et ainsi de suite.

V. Distance qu'impose le paysage humain

  1. Toute génération possède sa part d'astuce et n'hésitera pas à faire appel à la rénovation la plus sophistiquée si, par ce biais, elle augmente son pouvoir. Cependant, ceci la conduit à d'innombrables difficultés parce que la transformation qu'elle a mise en marche entraîne la société vers l'avenir. En effet, dans la dynamique du présent, celle‑ci est déjà en contradiction avec le paysage social intérieur que l'on voulait maintenir. C'est pour cela que je dis : « chaque génération possède sa part d'astuce », mais elle possède également son piège.
  2. A quel paysage humain se heurte l'envie nulle et injustifiée ? D'abord, elle se heurte à un paysage humain perçu, différent du paysage dont on se rappelle. Mais aussi à un paysage humain qui ne correspond pas avec le ton affectif, avec le climat émotif général du souvenir de personnes, d'édifices, de rues, de métiers, d'institutions. Et cet “éloignement” ou “étrangeté” montre clairement que tout paysage perçu est une réalité globale, distincte de celle dont on se souvient, même quand il s'agit des choses quotidiennes ou familières. C'est ainsi que les convoitises qui ont fait caresser si longtemps la possession d'un objet (chose, personne, situation) sont finalement déçues dans leur réalisation. Et voilà la distance que la dynamique du paysage humain impose à tout souvenir entretenu par un ou plusieurs individus, ou encore par toute une génération. Coexistant dans un même espace social, cette génération est nimbée d'un tréfonds émotif semblable… Combien s'éloigne l'accord à propos d'un objet, quand il est considéré par différentes générations ou par des représentants de différentes époques qui coexistent dans le même espace ! Et s'il semble que nous parlions d'ennemis, je dois souligner que ces abîmes s'ouvrent déjà entre ceux qui ont les mêmes intérêts.
  3. On ne touche jamais un même objet de la même façon et on ne ressent jamais deux fois la même intention. Et ce que je crois percevoir comme intention chez les autres n'est qu'une distance que j'interprète toujours de façon différente. Ainsi, le paysage humain, dont la caractéristique distinctive est l'intention, met en relief l'étrangeté.
    Il fut un temps où de nombreuses personnes ont noté cette étrangeté et pensé qu'elle était peut‑être le produit de conditions objectives d'une société non solidaire qui aurait envoyé en exil la conscience dépossédée. S'étant trompées dans leur appréciation concernant l'essence de l'intention humaine, ces personnes se sont aperçu que la société qu'elles avaient bâtie avec effort ouvrait un abîme entre les générations et devenait étrangère à elle‑même à mesure qu'augmentait l'accélération de leur paysage humain. D'autres sociétés, qui se sont déployées selon des schémas différents, ont reçu un choc identique qui a permis de démontrer que les problèmes fondamentaux de l'être humain devaient être résolus avec pour objectif l'intention qui transcende l'objet et dont l'objet social est seulement la demeure. C'est ainsi que l'on a compris que la nature entière (y compris le corps humain) était le foyer de l'intention transformatrice.
  4. La perception du paysage humain est une comparaison avec moi‑même ; elle est aussi un engagement émotif, quelque chose qui me nie ou me lance en avant. Et alors que j'accumule des souvenirs, je suis aspiré depuis mon “aujourd'hui” par le futur intentionalisé. Ce futur qui conditionne le présent, cette image, ce sentiment confus ou voulu, ce faire choisi ou imposé, marquent également mon passé, parce que cela change ce que je considère comme étant mon passé.

VI. L'éducation

  1. La perception du paysage extérieur et son action sur celui‑ci engage le corps et la façon émotive d'être dans le monde. Bien entendu, elle engage aussi la vision de la réalité ainsi que je l'ai commenté précédemment. C'est pourquoi je crois qu'éduquer est, en premier lieu, rendre les nouvelles générations capables de pratiquer une vision non naïve de la réalité, de sorte que leur regard prenne en compte le monde non comme une réalité supposée objective en elle‑même, mais comme l'objet de transformation sur lequel l'être humain applique son action. Je ne parle pas de l'information sur le monde, mais de l'exercice intellectuel d'une vision particulière et sans préjugé des paysages, et d'une pratique attentive sur son propre regard. Une éducation élémentaire doit prendre en compte l'exercice du penser cohérent. En l'occurrence, il ne s'agit pas de connaissance stricte, mais de contact avec ses propres registres du penser.
  2. En second lieu, l'éducation devrait s'appuyer sur le côté stimulant de la compréhension et sur le développement de l'émotion. C'est pourquoi l'exercice de la représentation d'une part et celui de l'expression d'autre part, ainsi que l'habileté dans l'harmonie et le rythme devraient être pris en considération au moment de planifier une formation intégrale. Ce commentaire n'a pas pour objet la mise en place de procédés prétendant “produire” des talents artistiques, mais son intention est plutôt de faire prendre aux individus un contact émotif avec eux‑mêmes et avec les autres, sans les perturbations auxquels conduit une éducation séparatrice et inhibitrice.
  3. En troisième lieu, il faudrait prendre en compte une pratique qui mette en jeu toutes les ressources corporelles de façon harmonieuse ; cette discipline ressemble plus à une gymnastique réalisée avec art qu'à un sport, étant donné que celui‑ci ne forme pas intégralement mais de façon unilatérale. Car il s'agit ici de prendre contact avec son propre corps et de le conduire avec aisance. Ainsi le sport ne devrait pas être considéré comme une activité formatrice, mais il serait important de le cultiver sur la base de la discipline dont on a parlé plus haut.
  4. Jusqu'ici j'ai parlé de l'éducation en l'envisageant du point de vue des activités formatrices pour l'être humain dans son paysage humain, mais je n'ai pas parlé de l'information relative à la connaissance et à l'acquisition de données faites par l'étude et par la pratique comme forme d'étude.

VII. L'histoire

  1. Tant que l'on continuera à penser le processus historique depuis un regard extérieur, il sera inutile de l'expliquer comme le déploiement croissant de l'intentionnalité humaine dans sa lutte pour dépasser la douleur (physique) et la souffrance (mentale). De cette manière, certains se préoccuperont de dévoiler les lois intimes de l'expérience humaine à partir de la matière, de l'esprit, ou d'une certaine raison, mais il est vrai que le mécanisme interne recherché sera toujours vu du “dehors” de l'homme.
  2. Bien entendu, on continuera de comprendre le processus historique comme le développement d'une forme qui ne sera finalement que la forme mentale de ceux qui voient les choses de cette façon. Et peu importe à quel type de dogme on aura recours, car le tréfonds qui dicte une telle adhésion sera toujours ce que l'on souhaite voir.

VIII. Les idéologies

  1. Les idéologies qui, à certains moments historiques, se sont imposées et ont montré leur utilité pour donner une direction à l'action et interpréter le monde où évoluaient les individus comme les ensembles humains, furent remplacées par d'autres dont la principale réussite a consisté à apparaître comme la réalité elle‑même, comme ce qui est le plus concret, le plus immédiat et le plus exempt de toute idéologie.
  2. Ainsi les opportunistes d'autrefois, caractérisés par la trahison de tout engagement, sont apparus à des époques de crise des idéologies, se désignant eux‑mêmes comme “pragmatiques” ou “réalistes”, sans avoir la moindre idée de la provenance de telles paroles. En tous cas, ils ont exhibé avec une totale impudeur leurs idéologèmes, les présentant comme le summum de l'intelligence et de la vertu.
  3. Et sans doute, quand le changement social s'est accéléré, la non coïncidence entre le paysage humain où s'étaient formées certaines générations et le paysage humain où il leur fallait agir laissaient celles‑ci orphelines de toute théorie et de tout modèle de conduite. Ces générations devaient par conséquent donner des réponses de plus en plus rapides et improvisées qui devenaient “conjoncturelles” et ponctuelles dans l'action. De ce fait, toute idée de processus et toute notion d'historicité ont décliné ; en revanche le regard analytique et fragmentaire a gagné du terrain.
  4. Les cyniques pragmatiques n'étaient autres que les petits‑fils honteux de ces vaillants bâtisseurs de “consciences malheureuses” et les fils de ceux qui avaient dénoncé les idéologies comme “déguisements” de la réalité. C'est pourquoi, dans tout pragmatisme, est restée l'empreinte de l'absolutisme familial. Et ainsi, on les a entendu dire : “Il faut s'en tenir à la réalité et non aux théories”. Mais cela leur a attiré d'innombrables difficultés quand survinrent des courants irrationalistes qui ont affirmé à leur tour : “il faut s'en tenir à notre réalité et non aux théories”.

IX. La violence

  1. Quand on parle de méthodologie d'action dans la lutte politique et sociale, on fait fréquemment allusion au thème de la violence. Mais voyons au préalable certaines questions liées à ce thème.
  2. Tant que l'être humain ne réalisera pas pleinement une société humaine, c'est‑à‑dire une société où le pouvoir réside dans le tout social et non dans une partie – qui soumet l'ensemble et l'objétise – toute activité sociale se réalisera sous le signe de la violence. Aussi, quand on parle de violence, il faut mentionner le monde institué ; et si on oppose à ce monde une lutte non‑violente, on doit souligner en premier lieu qu'une attitude est non‑violente parce qu'elle ne tolère pas la violence. De sorte qu'il ne s'agit pas de justifier un type déterminé de lutte, mais de définir les conditions de violence que ce système inhumain impose.
  3. En second lieu confondre non‑violence et pacifisme conduit à d'innombrables erreurs. La non‑violence ne nécessite pas de justification comme méthodologie d'action, tandis que le pacifisme nécessite d'établir des pondérations sur les faits qui rapprochent ou éloignent de la paix, considérée comme un état de non‑belligérance. C'est pourquoi le pacifisme affronte des questions comme le désarmement et en fait la priorité essentielle d'une société ; en réalité la course à l'armement n'est qu'un des cas de menace de violence physique qui correspond au pouvoir institué par une minorité manipulant l'Etat. Bien que la question du désarmement soit d'une importance capitale et que le pacifisme se dédie à cette urgence – et même si ses revendications réussissent –, il ne modifiera pas pour autant le contexte de la violence et, bien entendu, il ne pourra aller – sauf artifice – jusqu'à la proposition de modifier la structure sociale. Il est vrai qu'il existe divers modèles de pacifisme ainsi que plusieurs fondements théoriques à l'intérieur de ce courant ; de toute façon, aucune proposition majeure n'en dérive. En revanche, si sa vision du monde était plus ample, nous serions certainement en présence d'une doctrine qui inclue le pacifisme. Dans ce cas, nous devrions discuter les fondements de cette doctrine avant d'adhérer ou de rejeter le pacifisme qui en dérive.

X. La loi

  1. « Le droit de chacun se termine là où commence celui des autres ». C'est pourquoi « le droit des autres se termine là où commence celui de chacun ». Cependant, comme on met l'accent sur la première et non sur la seconde phrase, tout laisse soupçonner que ceux qui soutiennent une telle proposition se considèrent eux‑mêmes comme “les autres”, c'est‑à‑dire représentants d'un système établi qui n'a pas à se justifier.
  2. Bien sûr, certains font dériver la loi d'une supposée “nature humaine”, mais cela ayant déjà été discuté précédemment, il n'y a rien à ajouter.
  3. Des gens à l'esprit pratique ne se sont pas égarés dans des élaborations théoriques et ont déclaré que la loi est nécessaire pour que la cohabitation sociale existe. On a également affirmé que la loi est faite pour défendre les intérêts de ceux qui l'imposent.
  4. Il semble que la situation préalable au pouvoir installe une loi déterminée qui, à son tour, légalise le pouvoir. Ainsi, le thème central est le pouvoir en tant qu'intention imposée, qu'elle soit ou non acceptée. On dit que la force n'engendre pas de droits ; ce contresens peut être accepté si l'on considère la force comme un fait physique brutal, alors qu'en réalité la force (économique, politique, etc.) n'a pas besoin d'être exposée de façon perceptuelle pour être présente et imposer le respect. D'autre part, même la force physique (celle des armes par exemple), qui prend la forme de menace brutale, impose ou contrôle de façon co‑présente des situations qui sont légalement justifiées. Et nous ne devons plus ignorer que l'usage des armes, dans une direction ou une autre, dépend de l'intention humaine et non d'un droit.
  5. Celui qui viole une loi ignore une situation imposée dans le présent, exposant sa temporalité (son avenir) aux décisions d'autres personnes. Il est vrai que ce “présent” dans lequel la loi entre en vigueur a des racines dans le passé. La coutume, la morale, la religion ou le consensus social sont les sources habituellement invoquées pour justifier l'existence de la loi. Chacune d'elles, à son tour, dépend du pouvoir qui l'a imposée. Et ces sources sont révisées quand le pouvoir, qui leur donna naissance, a déchu ou s'est transformé au point que le maintien de l'ordre juridique précédent entre en conflit avec ce qui est “raisonnable”, avec “le sens commun”, etc. Quand le législateur change une loi, ou lorsqu'un ensemble de représentants du peuple change la Charte Fondamentale d'un pays, en apparence la loi n'est pas violée car ceux qui agissent ne s'exposent pas aux décisions des autres : ils tiennent en main le pouvoir ou agissent en tant que représentants d'un pouvoir. Dans ces situations, il est évident que le pouvoir engendre des droits et des obligations, et non l'inverse.
  6. Les Droits de l'Homme ne sont pas en vigueur universellement comme il serait souhaitable parce qu'ils ne dépendent pas du pouvoir universel de l'être humain mais du pouvoir d'une partie sur le tout ; et si les plus élémentaires demandes à disposer de son propre corps sont piétinées sous toutes les latitudes, alors nous pouvons seulement parler d'aspirations que l'on devra transformer en droit. Les Droits de l'Homme n'appartiennent pas au passé, ils sont là‑bas dans le futur, aspirant l'intentionnalité, nourrissant une lutte qui se ravive à chaque nouvelle violation du destin de l'homme. Par conséquent, toute réclamation qui se fait en leur faveur a un sens, parce qu'elle montre aux pouvoirs actuels qu'ils ne sont pas tout puissants et qu'ils n'ont pas le contrôle du futur.

XI. L'Etat

  1. On a dit qu'une nation est une entité juridique formée par l'ensemble des habitants d'un pays régi par le même gouvernement. Cette idée a ensuite été étendue au territoire de ce pays. Pourtant, une nation peut exister durant des millénaires sans être régie par le même gouvernement, sans être dans le même territoire et en étant reconnue juridiquement par aucun Etat. Une nation se définit par la reconnaissance mutuelle qui s'établit entre les personnes s'identifiant à des valeurs semblables et aspirant à un avenir commun ; et cela n'a rien à voir ni avec la race, ni avec la langue, ni avec l'histoire vue comme une “longue durée qui commence dans un passé mythique”. Une nation peut se former aujourd'hui, grandir vers le futur ou échouer demain ; elle peut aussi intégrer d'autres ensembles à son projet. Dans ce sens, on peut parler de la formation d'une nation humaine qui ne s'est pas consolidée en tant que telle et qui a souffert d'innombrables échecs et persécutions… et surtout souffert de l'échec du paysage futur.
  2. Mais on attribue à l'Etat, qui est une forme précise de gouvernement réglementé juridiquement, l'étrange capacité de former des nationalités et d'être lui‑même la nation. Cette récente fiction, celle des Etats‑nations, subit actuellement l'assaut de la transformation rapide du paysage humain. Ainsi, les pouvoirs qui ont formé l'Etat actuel et l'ont doté de simples attributs d'intermédiaire sont en situation de surmonter la forme de cet appareil qui, en apparence, concentre le pouvoir d'une nation.
  3. Les “pouvoirs” de l'Etat ne sont pas des pouvoirs réels qui engendrent des droits et des obligations, qui administrent ou exécutent suivant des lignes directrices données. A mesure que s'accroissait le monopole de l'appareil et qu'il se transformait en butin de guerre – successif ou permanent – de factions – partis –, il a fini par entraver la liberté d'action des pouvoirs réels et par alourdir l'activité du peuple, au seul bénéfice d'une bureaucratie de plus en plus inactuelle. C'est pourquoi la forme de l'Etat actuel ne convient à personne sauf aux éléments les plus retardataires de la société. La décentralisation progressive et la diminution du pouvoir étatique doivent correspondre à la croissance du pouvoir du tout social ; telle est la question. La seule garantie pour que le grotesque Etat actuel ne soit pas remplacé par le pouvoir sans frein des intérêts qui lui ont donné naissance et qui luttent aujourd'hui pour imposer sa mise à l'écart, c'est que le peuple s'autogère et se supervise solidairement (sans le paternalisme d'une faction).
  4. Un peuple qui serait en mesure d'augmenter son pouvoir réel (sans l'intermédiaire de l'Etat ou du pouvoir des minorités) se trouvera dans les meilleures conditions pour se projeter vers le futur comme avant‑garde de la nation humaine universelle.
  5. Il ne faut pas croire que l'union artificielle de pays en une entité supranationale accroît le pouvoir de décision de ses peuples respectifs, de même que ne l'ont pas accru les empires qui ont annexé des territoires et des nations sous la domination homogène d'un intérêt particulier.
  6. Bien qu'une des expectatives des peuples soit l'union régionale de richesses (ou de la pauvreté), dans une dialectique avec les pouvoirs extra‑régionaux, et bien qu'il arrive qu'il y ait des bénéfices provisoires à de telles unions, le problème fondamental d'une société pleinement humaine n'est pas pour autant résolu. Et tout type de société qui ne serait pas pleinement humaine sera soumise aux dangers – et aux catastrophes – résultant des décisions qu'elle prendrait et qui seraient éloignées de la volonté d'intérêts particuliers.
  7. Si de ces unions régionales résulte l'émergence d'un monstrueux Supra‑Etat ou bien celle de la domination sans frein de ces vieux intérêts (alors devenus totalement homogénéisés), Supra‑Etat ou domination qui imposent de manière sophistiquée leur pouvoir au tout social, surgiront alors d'innombrables conflits qui affecteront la base même de telles unions ; et les forces centrifuges prendront un élan dévastateur. Si, en revanche, le pouvoir de décision du peuple croît, l'intégration des diverses communautés sera aussi à l'avant‑garde de l'intégration de la nation humaine en développement

XII. La religion

  1. Ce que l'on dit des choses et des faits ne sont ni les choses ni les faits, mais leurs “figures” avec lesquelles ils ont une certaine structure en commun. C'est grâce à cette structure commune que l'on peut mentionner les choses et les faits. Quant à cette structure, elle ne peut pas être mentionnée de la même manière que les choses parce que c'est la structure de ce qui se dit (ainsi que celle des choses et des faits). Conformément à cela, le langage peut montrer mais non dire quand il se réfère à ce qui “inclut” tout (y compris le langage lui‑même). Tel est le cas pour “Dieu”.
  2. On a dit diverses choses sur Dieu, mais cela apparaît comme un contresens dès que l'on observe ce qui se dit, ce que l'on prétend dire.
  3. De Dieu, on ne peut rien dire. On peut seulement dire à propos de ce qui a été dit sur Dieu. Nombreuses sont les choses dites sur lui et beaucoup peut être dit sur ces dires sans pour autant avancer sur la question de Dieu, c'est‑à‑dire à propos de Dieu lui‑même.
  4. Indépendamment de ces jeux de mots, les religions ne peuvent être d'un profond intérêt que si elles prétendent montrer Dieu et non dire sur lui.
  5. Mais les religions montrent ce qui existe dans leurs paysages respectifs. C'est pourquoi une religion n'est ni vraie ni fausse car sa valeur n'est pas logique. Sa valeur se fonde sur le type de registre intérieur qu'elle suscite, dans l'accord de paysages entre ce que l'on veut montrer et ce qui est effectivement montré.
  6. La littérature est en général liée à des paysages extérieurs et humains ; les caractéristiques et les attributs des dieux n'échappent pas à ces paysages. Néanmoins, même si les paysages extérieurs et humains se modifient, la littérature religieuse peut traverser les âges. Cela n'est pas étonnant puisque un autre genre de littérature (non religieuse) peut également être suivi avec intérêt et avec une vive émotion à des époques très éloignées. La permanence dans le temps d'un culte n'en dit pas beaucoup sur sa “vérité”, puisque les formalités légales et les cérémonies sociales passent de culture en culture et que l'on continue de les observer en ignorant, cependant, leur signification d'origine.
  7. Les religions surgissent dans un paysage humain et dans un moment historique ; on dit alors que Dieu “se révèle” à l'homme. Mais quelque chose s'est passé dans le paysage intérieur de l'être humain pour qu'à ce moment historique une telle révélation soit acceptée. L'interprétation de ce changement s'est faite généralement du “dehors” de l'homme, situant ce changement dans le monde extérieur ou dans le monde social ; ainsi, on a gagné sous certains aspects mais on a perdu en compréhension du phénomène religieux quant au registre intérieur.
  8. Les religions, elles aussi, se sont présentées comme externalité ; ainsi, elles ont préparé le terrain aux interprétations mentionnées.
  9. Quand je parle de “religion extérieure”, je ne me réfère pas aux images psychologiques projetées sous forme d'icônes, peintures, statues, édifices, reliques (propres à la perception visuelle). Je ne mentionne pas non plus leur projection sous forme de cantiques, prières (propres à la perception auditive), ni à leur projection sous forme de gestes, postures et orientations du corps dans des directions précises (propres aux perceptions kinesthésique et cénesthésique). Enfin, je ne dis pas non plus qu'une religion est extérieure parce qu'elle s'appuie sur ses livres sacrés ou sur des sacrements, etc. Je ne désigne même pas une religion comme extérieure parce qu'elle ajoute une église à sa liturgie, une organisation, des dates de culte, un certain état physique ou un certain âge des croyants pour effectuer des opérations déterminées. Non. Cette forme, où les partisans de telle ou telle religion luttent entre eux de façon mondaine – chaque camp attribuant à l'autre divers degrés d'idolâtrie pour le type d'image préférée avec lequel les uns et les autres travaillent –, cette forme ne constitue pas la substance du sujet (sauf pour montrer la totale ignorance psychologique des adversaires).
  10. J'appelle “religion extérieure” toute religion qui prétend dire sur Dieu et sur la volonté de Dieu, au lieu de dire sur le religieux et sur le registre intime de l'être humain. Le soutien par un culte extériorisé pourrait même avoir un sens si, avec de telles pratiques, les croyants éveillaient en eux‑mêmes (montraient) la présence de Dieu.
  11. Toutefois le fait que les religions aient été jusqu'à présent extérieures correspond au paysage humain dans lequel elles sont nées et se sont développées. La naissance d'une religion intérieure est possible, de même que la conversion des religions à la religiosité intérieure, si, toutefois, elles survivent. Mais cela arrivera dans la mesure où le paysage intérieur sera en condition d'accepter une nouvelle révélation. Et déjà, on commence à l'entrevoir dans les sociétés où le paysage humain fait l'expérience de changements si sévères que le besoin de références intérieures se fait de plus en plus impérieux.
  12. Rien de ce qui a été dit sur les religions ne peut aujourd'hui se maintenir debout, car ceux qui s'en sont fait les apologistes ou les détracteurs ont cessé depuis longtemps de remarquer le changement intérieur chez l'être humain. Si certains pensaient les religions comme des somnifères de l'activité politique ou sociale, aujourd'hui ils y sont confrontés à cause de leur forte poussée dans ces domaines. Si d'autres les imaginaient imposant leur message, ils trouvent que leur message a changé. Ceux qui croyaient qu'elles allaient durer pour toujours doutent aujourd'hui de leur “éternité”, et ceux qui supposaient leur disparition à court terme assistent avec surprise à l'irruption de formes mystiques manifestes ou larvées.
  13. Et dans ce domaine, peu nombreux sont ceux qui pressentent ce qu'offre le futur, parce que rares sont ceux qui s'attellent à la tâche de comprendre dans quelle direction marche l'intentionnalité humaine qui, résolument, transcende l'individu humain. Si l'homme veut que quelque chose de nouveau “se montre”, c'est parce que ce qui tend à “se montrer” est déjà à l'œuvre dans son paysage intérieur. Mais ce n'est pas en prétendant être le représentant d'un dieu que le registre intérieur de l'homme devient la demeure ou le paysage d'un regard (d'une intention) transcendant.

XIII. Les chemins ouverts

  1. Qu'en est‑il du travail, de l'argent, de l'amour, de la mort et de tant d'aspects du paysage humain apparemment mis de côté dans ces commentaires ? Il y a bien sûr tout ce que chacun peut répondre, pourvu qu'il veuille le faire en tenant compte de cette façon d'envisager les questions, rapportant des regards à des paysages et comprenant que les paysages changent les regards.
  2. Etant donné ce qui précède, il n'est pas nécessaire que nous parlions de choses nouvelles si d'autres s'intéressent à le faire et ce, de la façon utilisée jusqu'ici ; en effet, ils peuvent s'exprimer de la manière dont nous le ferions nous‑mêmes. En revanche, si nous parlions de choses qui n'intéressent personne, ou avec une forme d'expression qui ne permettrait pas de les dévoiler, continuer de parler pour d'autres serait un non‑sens.

Notes

Le regard intérieur est divisé en vingt chapitres, et chacun d'eux en fragments.
Les idées maîtresses du livre peuvent être regroupées ainsi :
A. Les deux premiers chapitres sont introductifs et présentent l'intention de celui qui explique, l'attitude de celui qui prête attention et la manière de faire avancer cette relation.
B. Les chapitres III à XIII développent les thèmes les plus généraux, les expliquant en dix “jours” de réflexion.
C. Le chapitre XIII marque un changement. On passe de l'exposition générale à la considération des conduites et des attitudes face à la vie.
D. Les chapitres suivants portent sur le travail interne.

L'ordre des thèmes est le suivant :
I. La méditation. Objet du livre : la conversion du non‑sens en sens.
II. Disposition pour comprendre. Position mentale qui est demandée pour comprendre les thèmes.
III. Le non‑sens. Le sens de la vie et de la mort.
IV. La dépendance. L’action du milieu sur l’être humain.
V. Soupçon du sens. Quelques phénomènes mentaux non habituels.
VI. Sommeil et éveil. Différences entre les niveaux de conscience et de perception de la réalité (sommeil, demi‑sommeil, éveil avec rêveries et plein éveil). Sens externes, internes et mémoire.
VII. Présence de la Force. Montée de la compréhension en état d’éveil. Energie ou Force, qui se loge et se déplace dans le corps.
VIII. Contrôle de la Force. Profondeur et superficialité de l’énergie, en relation avec les niveaux de conscience.
IX. Manifestations de l'énergie. Contrôle et perte de contrôle de l’énergie.
X. Evidence du sens. Contradiction interne, unité et continuité.
XI. Le centre lumineux. L’énergie liée à l'allégorisation intérieure du “centre lumineux”. Les phénomènes d’intégration intérieure “montent vers la lumière”. La dissolution intérieure est ressentie comme “éloignement de la lumière”.
XII. Les découvertes. Circulation de l’énergie. Niveaux. Nature de la Force représentée comme “lumière”. Des exemples de ces thèmes chez les peuples.
XIII. Les principes. Les Principes comme référence d’unité intérieure.
XIV. Le guide du chemin intérieur. Représentation des phénomènes qui accompagnent les directions de “descente” et de “montée”.
XV. L'expérience de paix et le passage de la Force. Procédés.
XVI. Projection de la Force. Sens de la “projection”.
XVII. Perte et répression de la Force. Décharges énergétiques. Le sexe comme centre producteur d’énergie.
XVIII. Action et réaction de la Force. L’association des représentations à charges émotives. L’évocation de l’image gravée sur des états émotifs suscite (restitue) à nouveau les états émotifs qui lui sont associés. Le “remerciement”, comme technique d’association d’images à des états émotifs, applicable dans la vie quotidienne.
XIX. Les états intérieurs. Situations mentales dans lesquelles peut se trouver celui qui est intéressé par le travail interne.
XX. La réalité intérieure. Les processus mentaux liés aux représentations allégoriques du monde extérieur.
Le paysage intérieur est divisé en dix‑huit chapitres, et chacun d'eux en fragments.
Les idées maîtresses du livre peuvent être regroupées ainsi :
A. Les deux premiers chapitres sont introductifs et s'adressent au lecteur avec des questions sur son bonheur ou sa souffrance et sur ses intérêts dans la vie.
B. Les chapitres III à VI étudient les différents types de paysages (extérieur, humain et intérieur) et leur interaction.
C. Le chapitre VII développe les thèmes de la douleur, de la souffrance et du sens de la vie. Ces points et ceux relatifs à la validité de l'action dans le monde continuent d'être présents jusqu'au chapitre XIII.
D. Dans les chapitres XIV à XVIII, le thème central est la direction des actes humains et les motifs de cette direction ; en même temps, on y fait des propositions de changement dans le sens de la vie.

L'ordre des thèmes est le suivant :
I. La question. S'enquiert sur le bonheur et la souffrance. Propose une direction de dépassement de la souffrance.
II. La réalité. Interroge la nature de ce qui est “réel”, impliquant ce que l'on perçoit de la structure de l'être humain.
III. Le paysage extérieur. Met en évidence que tout paysage extérieur varie selon ce qui se passe à l'intérieur de celui qui le perçoit.
IV. Le paysage humain. Montre le paysage humain et engage l'intériorité du sujet. Nie que les clans ou factions actuels aient le droit d'exiger des réponses élaborées par eux‑mêmes aux problèmes qui se présentent chez les individus et dans les sociétés. Affirme la nécessité de définir l'action dans le monde humain.
V. Le paysage intérieur. Explique que les croyances se trouvent à la base du faire humain. Mais souligne que le paysage intérieur n’est pas seulement un domaine de croyances, il est aussi celui de souvenirs, de perceptions et d'images. Fait ressortir que la relation entre paysage intérieur et extérieur est une structure où ces deux termes sont corrélatifs, et peuvent être envisagés alternativement comme actes ou objets.
VI. Centre et reflet. Indique la possibilité de se placer dans le centre du paysage intérieur, depuis lequel n’importe quelle direction choisie est reflet de celui‑ci. D’autre part, montre que l’apprentissage se réalise par le faire, et non par le fait de contempler.
VII. Douleur, souffrance et sens de la vie. Etablit les différences entre la douleur physique et la souffrance mentale. Dans la phrase “humaniser la terre”, met la clef du sens de la vie, soulignant la primauté du futur sur les autres temps.
VIII. Le cavalier et son ombre. Ce chapitre rompt la monotonie des développements antérieurs par un changement de style. Cependant, il revient sur les problèmes des temps dans la vie et cherche en eux la racine du souvenir, de la perception et de l’image. Ces trois voies sont ensuite considérées comme “les trois voies de la souffrance” dans la mesure où la contradiction inverse les temps de la conscience.
IX. Contradiction et unité. Continue l’exposé sur le jeu des temps. Marque les différences entre les problèmes quotidiens ou les difficultés et la contradiction. Définit les caractéristiques de cette dernière. Fait des propositions de changement dans l’organisation du paysage intérieur.
X. L'action valable. Explique que non seulement la contradiction génère de la souffrance, mais aussi toute inversion dans le courant croissant de la vie. Souligne l’importance de “l’action valable” comme acte d’unité surpassant la contradiction. Ce chapitre propose une critique voilée des fondements de la morale, dont l’élaboration n'a pas pour base la nécessité de donner unité à l’être humain, et il donne des références pour surpasser la contradiction et la souffrance.
XI. Projection du paysage intérieur. Souligne que les actes contradictoires ou unitifs engagent le futur de celui qui les produit, ainsi que celui de ceux qui sont en contact avec lui. En ce sens, la contradiction individuelle “contamine” les autres, et l’unité individuelle produit aussi des effets sur les autres.
XII. Compensation, reflet et futur. Dans le tréfonds de ce chapitre, se trouve l’antique discussion entre déterminisme et liberté. On passe en revue très rapidement la mécanique des actes comme jeux d’actions compensatoires et également comme reflet du paysage extérieur. Il ne laisse pas non plus de côté l’accident, comme autre phénomène qui empêche tout projet humain. Finalement, il souligne la recherche de la croissance de la vie sans limite, comme saut par dessus les conditions déterminantes.
XIII. Les sens provisoires. Ebauche une dialectique entre “sens provisoires” et “sens de la vie”. Place l’affirmation de la vie comme la plus grande valeur et insinue que la rébellion contre la mort est le moteur de tout progrès.
XIV. La foi. Considère l’impression de soupçon qu’on expérimente en entendant le mot “foi”. Marque ensuite les différences entre la foi naïve, la foi fanatique et la foi au service de la vie. Donne à la foi une importance spéciale en tant qu’énergie mobilisatrice de l’enthousiasme vital.
XV. Donner et recevoir. Etablit que le fait de donner (à la différence de celui de recevoir, qui est centripète et meurt à l’intérieur même du sujet) ouvre le futur, et que toute action valable va dans cette direction. Par le fait de donner, la direction d’une vie contradictoire peut se modifier.
XVI. Les modèles de vie. Explique les “modèles” comme images qui motivent des activités vers le monde extérieur. Fait remarquer la modification que subissent de telles images par le changement du paysage intérieur.
XVII. Le guide intérieur. Se réfère au fait qu’il existe des modèles dans le paysage intérieur, qui sont des exemples d’action pour le sujet. De tels modèles peuvent être appelés “guides intérieurs”.
XVIII. Le changement. Etudie la possibilité du changement volontaire dans la conduite de l’être humain.



Le paysage humain est divisé en treize chapitres, et chacun d'eux en fragments.
Les idées maîtresses du livre peuvent être regroupées ainsi :
A. Les cinq premiers chapitres s'appliquent à clarifier la signification du paysage humain et du regard qui se réfère à ce paysage.
B. Les sept chapitres suivants traitent différentes questions qui figurent dans le paysage humain.
C. Le chapitre treize, en même temps qu'il clôt les développements, invite le lecteur à continuer l'étude de sujets importants qui n'ont pas été abordés dans l'œuvre.
L'ordre des thèmes est le suivant :
I. Les paysages et les regards. Etablit des différences entre paysages intérieur, extérieur et humain. Aborde les distinctions entre différents types de “regards”.
II. Ce qui est humain et le regard extérne. Considère, en partant du “regard externe”, ce qui a été dit sur l'être humain.
III. Le corps humain comme objet de l'intention. L'intentionnalité et la conduite de son propre corps sans intermédiaire. L'objétisation du corps de l'autre et la “suppression” de sa subjectivité.
IV. Mémoire et paysage humain. La non‑coïncidence entre le paysage humain perçu actuellement et le paysage humain correspondant à l'époque de formation de celui qui perçoit.
V. Distance qu'impose le paysage humain. Les distances entre paysage humain perçu et paysage humain représenté ne sont pas données seulement par une différence d'époques mais par les façons d'être dans le monde au moyen de l'émotion et de la présence de son propre corps.
VI. L'éducation. Exprime qu'une éducation intégrale doit prendre en compte le penser cohérent comme contact avec les registres personnels du penser ; celle‑ci doit considérer la compréhension et le développement émotif comme contact avec soi‑même et avec d'autres ; et elle ne doit pas éluder les pratiques qui mettent en jeu toutes les ressources corporelles. Distingue entre éducation comme formation, information comme incorporation de données au travers de l'étude et pratique comme forme d'étude.
VII. L'Histoire. Jusqu'ici l'Histoire a été vue du “dehors”, sans prendre en compte l'intentionnalité humaine.
VIII. Les idéologies. Aux époques de crise des idéologies apparaissent des idéologèmes qui prétendent représenter la réalité même. C'est le cas de ce que l'on appelle le “pragmatisme”.
IX. La violence. La non‑violence comme méthodologie de lutte politique et sociale ne requiert pas de justifications. C'est ce système où domine la violence qui nécessite une justification pour s'imposer. D'autre part, on établit des distinctions entre pacifisme et non‑violence.
X. La loi. Discussion sur l'origine de la loi et sur la question du pouvoir comme prémices de tout droit.
XI. L'Etat. L'Etat comme appareil intermédiaire entre le pouvoir réel d'une partie de la société et le tout social.
XII. La religion. Les religions comme “externalité” quand elles prétendent parler de Dieu et non du registre intérieur de Dieu dans l'être humain.
XIII. Les chemins ouverts. Conclusion du livre et invitation au lecteur à étudier et à développer des thèmes importants du paysage humain qui n'ont pas été traités dans cette œuvre.

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